Chapitre 13
Je me repris rapidement. En d’autres termes, je bafouillai et marmonnai des inepties, et Sinclair dut voler à mon secours.
— Vous y croyez, vous ? s’exclama Jessica.
— Évidemment, très chère. Franchement, je suis étonné que la maison n’ait pas encore été prise d’assaut. Tu ferais honneur à n’importe quel homme.
Elle rayonnait.
— Oooh ! Éric ! Oublions cette image horrifiante et concentrons-nous sur le fait que j’ai un rendez-vous.
— Je suis surpris que tu sois surprise, dit-il.
— S’ils sont riches, ils ne tentent pas leur chance… expliqua-t-elle. Et s’ils ne le sont pas, ils paniquent à cause de ma fortune. Je simplifie à l’excès, mais l’idée est là.
— Je connais plusieurs hommes qui sauteraient sur la moindre occasion de te… côtoyer socialement, affirma Sinclair. Après tout, ma chère, à quoi servent les (nouvelle hésitation) amis ? Tu aurais dû nous en parler bien avant.
— Je ne sais pas trop. C’est difficile d’arranger le coup entre deux amis… L’ambiance peut vite tourner au vinaigre si l’entente n’est pas au rendez-vous.
— Attends une minute ! m’écriai-je. Éric Sinclair, tu savais parfaitement au moment où elle est rentrée qu’elle… Tu as entendu leur conversation ?
— Ce n’est pas nouveau, je te signale, rétorqua Jess. Vous avez tous une ouïe de félin ! C’en est flippant.
— Tu as pu tenir une conversation avec moi, m’embrasser et les écouter en même temps ? Mais à part ça, tu ne peux pas m’accompagner chez le fleuriste parce que tu as une conférence téléphonique avec Paris ?
— Je crois, répondit Sinclair, qu’on ferait mieux de se concentrer sur ce que portera Jessica au vernissage.
Jess ne tenait pas en place. Je ne l’avais pas vue aussi excitée depuis la fois où ses impôts étaient descendus à cinq zéros.
— Je pensais à ma robe Donna Karan noire.
— Pas question ! Toutes les femmes présentes auront misé sur la petite robe noire de rigueur.
— Pas faux, admis-je, momentanément distraite.
— De plus, tu dois à tout prix mettre en valeur ce teint magnifique.
À présent, Jess buvait ses paroles.
— Tu crois, Éric ?
— Tu as les pommettes d’une reine égyptienne, très chère. Tu es un lys royal. Il faut que tu te démarques de ce parterre de pâquerettes insignifiantes du Minnesota et, crois-moi, tu y arriveras facilement !
— Hé ! s’écria l’une des pâquerettes.
Ils continuèrent comme si de rien n’était.
— Éric, comme tu es gentil.
— Ce n’est pas de la gentillesse, très chère. Bien. Revenons au principal.
Il se mit à faire les cent pas. De mon côté, je commençais à me demander pourquoi j’étais sortie du lit ce soir-là.
— Tu pourrais porter ton fourreau Tracey Reese orange.
— Il est ouvert dans le dos, je crois. Ce n’est pas un peu trop osé pour un musée ?
— Alors pourquoi pas l’imprimé coquelicot Kay Unger ? suggéra-t-il.
— Je dois admettre, Sinclair, que tu n’as pas peur des couleurs ! commentai-je en essayant d’imiter le ton sérieux de mon fiancé – échec cuisant. On parle bien de la robe avec des fleurs vertes ? Des fleurs de la taille d’une tête ?
— Elle n’irait pas à n’importe qui, admit-il.
— Elle coûte une fortune, fit remarquer Jess en le regardant aller et venir comme une panthère noire. Je ferais mieux de la porter encore une fois.
— Il va falloir agir avec prudence, continua Sinclair. Tu dois trouver une tenue adaptée à ton rôle tout en restant suffisamment modeste pour ne pas que l’inspecteur Berry se sente mal à l’aise ou en position d’infériorité. Ce qui, étant donné la différence de revenus entre vous, va se révéler difficile.
Pour ma part, je bouillais intérieurement. Cette remarque me semblait tellement déplacée que je ne savais même pas par où commencer ma tirade.
— Si je comprends bien, il faut que je sois élégante sans laisser transparaître ma richesse, résuma Jess en passant à côté de l’impolitesse des remarques de Sinclair.
— Exactement.
— Excusez-moi, les interrompis-je. Sinclair, ne crois pas que j’ai oublié l’affaire du fleuriste et de l’écoute aux portes. Et ton soudain intérêt pour le rendez-vous de Jessica me perturbe à un point que tu n’imagines même pas. Jess ? Il faut vraiment que je te dise…
Quoi ? Qu’est-ce que je devais lui dire ?
Je n’arrive pas à croire que Nick t’ait proposé de sortir avec lui. Pour quelqu’un qui était censé s’intéresser à moi, il m’a vite oubliée ! Comment as-tu pu accepter sa proposition alors que tu étais persuadée que je lui plaisais ?
Non, il fallait que je fasse preuve de tact pour résumer l’étrangeté de la situation en une phrase. Le rôle de l’amie honnête demandait un effort intense.
— Je ne t’ai pas vue aussi excitée depuis un bout de temps.
— Mon dernier rendez-vous remonte à bien avant ta mort ! (Elle serra les mains sur la poitrine et tourna sur elle-même.) Et il est teeellement mignon !
— Extrêmement mignon, l’encouragea Sinclair. Vraiment très mignon.
Alors, je compris enfin ce qu’il manigançait. Sinclair ne faisait jamais rien sans avoir au moins une dizaine d’arrière-pensées. Il voulait un flic à sa botte. Ce serait très pratique. Bien sûr, il ne s’agissait que d’un premier rendez-vous, mais si tout se passait bien…
— Je croyais que tu ne sortais pas avec des Blancs, fis-je remarquer.
C’était un coup bas, mais j’étais suffisamment aux abois pour me raccrocher à n’importe quoi.
— Et je croyais que tu avais dit que c’était une attitude sectaire, complètement débile et dépassée ?
— Ah ! Parce que tu m’écoutes, maintenant ? marmonnai-je. Je ne reviens pas sur mes mots. Je dis simplement que tu ne choisis pas bien ton moment.
— Bon, maintenant que ce détail est réglé, concentrons-nous sur l’activité idéale post-exposition.
— Ce n’est pas la seule chose sur laquelle on doit se mettre d’accord, marmonnai-je.
Je parlais de nouveau – ô surprise – dans le vide.
— Comme l’inspecteur Berry a fait le premier pas, je crois qu’il serait juste de supposer qu’il prévoira de t’inviter par la suite à une distraction de ton choix.
— Tu t’investis beaucoup trop dans cette histoire, si tu veux mon avis. Est-ce que tu planifies aussi nos rendez-vous de façon aussi obsessionnelle ? Ah non ! Suis-je bête ! Tu ne m’invites jamais nulle part.
— La ferme, Betsy ! Pour une fois, c’est moi le centre de l’attention. Il va falloir t’y faire. Continue, Éric !
— Donc, il doit s’agir de quelque chose que vous aimez tous les deux, qui n’est pas excessivement cher et qui l’encouragera à te revoir dans un contexte social. Il faut toutefois veiller à ce que l’activité ne soit pas trop intimidante ou qu’elle ne crée pas de fausse intimité.
Je relevai une ceinture imaginaire.
— Eh ben, c’est pas de la rigolade, ça, shérif !
— Un dîner décent est hors de question, idem pour un dernier verre ici. Cette maison ne lui enverra pas les bons signaux. Ton idée du fast-food est un homard sur le pouce… ce qui nous laisse des activités de… euh… classe moyenne. En d’autres termes…
Jessica était pendue à ses lèvres. J’attendais également la chute. Quoi ? J’avais bien le droit d’être curieuse. Il aurait pu écrire un livre. Personne n’était doué pour les rendez-vous amoureux. Tout le monde recherchait des conseils.
— Un café et un dessert chez Nikola, conclut-il après un moment de réflexion. Le café y est excellent, la nourriture, délicieuse, et la note ne sera pas faramineuse si vous ne mangez pas un repas complet. De plus, les biscotti sont faits maison !
— Oooooh ! Sinclair, tu es vraiment le meilleur !
— Je sais, répondit-il fièrement.
— Et moi, je suis morte de trouille, marmonnai-je.